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[Pour un numérique plus responsable] : Acte 1 - L’accessibilité numérique
A l’heure de la dématérialisation massive des services publics, rendre ses services accessibles à l’ensemble de la population est non seulement une obligation légale mais également une nécessité sociétale. Et pourtant, les formations aux métiers du numérique ne mentionnent que trop rarement les aspects à prendre en compte dans la conception de son site ou application web.
Pour parler accessibilité numérique, ADN Ouest donne la parole à Franck Letrouvé, adhérent à l’association depuis de nombreuses années et référent Handicap d’ADN Solidarity, le Fonds de dotation d’ADN Ouest depuis sa création en 2015.
Franck, peux-tu nous expliquer ce qu’est l'accessibilité numérique ?
L’accessibilité est une des composantes du numérique responsable. Pratiquer l’accessibilité numérique c’est donner un accès universel à toutes les personnes qui consultent un service en ligne. Cela vaut pour les personnes en situation de handicap, mais également pour les personnes qui avec l’âge vont perdre leurs facultés visuelles par exemple. Le champ d’action est très vaste, puisque le besoin va être différent d’un public à un autre.
On parle souvent d’accessibilité pour le bâti, avec la mise en place d'ascenseurs ou de rampes d’accès par exemple. Mon métier c’est de faire poser des rampes d’accès dans les SI pour que tout le monde puisse être guidé d’une manière ou d’une autre jusqu’à l’information qu’il recherche. Ces rampes ne sont pas toujours visibles, mais elles sont indispensables. Il s’agit d’envisager toutes les possibilités de navigation en fonction de la condition de l’utilisateur, quel que soit son handicap, qu’il soit voyant, malvoyant ou non voyant.
Quelle est ton expertise sur le sujet ?
Je travaille depuis de nombreuses années pour des collectivités, mais également pour des sociétés privées. J’ai une double activité d’AMO (accompagnement à la maîtrise d’ouvrage ou d'œuvre) sur des projets web afin d’intégrer la problématique de prise en compte de tous les publics dès la rédaction du cahier des charges et une activité d’audit et de conseil sur l’existant.
Mon travail consiste à répondre aux normes françaises et européennes. Depuis 19 ans, la réglementation française impose des normes d’accessibilité aux acteurs publics à travers l’édition du RGAA (Référentiel Général d’Amélioration et d’Accessibilité), mais ce n’est que depuis 2019 et la nouvelle directive européenne, que les structures commencent à vraiment prendre conscience des enjeux qu’il y a derrière.
Tout comme le RGPD, cette réglementation recense un ensemble de critères pour évaluer si un système est accessible ou non. Ces 106 critères sont autant de points de contrôle qui permettent de déterminer un score d’accessibilité et de définir des axes de progression pour une meilleure conformité et donc une meilleure accessibilité.
Est-ce que les collectivités et les grandes entreprises sont réceptives à cette thématique de l’accessibilité ?
Pendant longtemps on a prêché dans le vide : malheureusement, le handicap n’est que très rarement pris en compte dans le développement de nouveaux services. Mais depuis que l’Europe a publié une directive sur l’accessibilité, le risque de recevoir une amende pour non-conformité pouvant aller jusqu’à 20K€ par an et par site, fait réagir les collectivités et grandes entreprises qui font de plus en plus appel à mon expertise.
Mais alors que le nombre de services en ligne se multiplie en France, le manque d’experts formés à l’accessibilité se fait cruellement ressentir. C’est un métier encore méconnu, avec peu de formations existantes et pourtant une demande en forte croissance. Pourtant, l'accessibilité est dans les gênes du web 2.0 depuis plus de 15 ans. Les normes internationales pour prendre en compte tous les publics existent depuis longtemps mais ne sont pas connues, pas enseignées et par conséquent pas respectées
Par ailleurs, il y a aujourd’hui un mouvement de mode sur le numérique responsable, avec de nombreux référentiels qui se créent mais qui ne sont pas ISO. Les échelles de mesure sont disparates, et il s’agit souvent d’outils propriétaires qui manquent d’objectivité pour déterminer des critères d’éco-responsabilité. Pourtant, il existe de nombreux points de convergence avec les critères déjà présents dans le RGAA qui pourrait être utilisé comme indicateur de bonnes pratiques d’éco-responsabilité.
Quelles sont les solutions pour développer l’accessibilité à grande échelle ?
La première solution est d’en parler : dire et répéter que cette problématique existe, sensibiliser tous les professionnels du numérique dès leur formation initiale, leur faire comprendre que c'est possible de concevoir un site afin qu’il soit accessible, même si ce n’est pas facile.
Les grands acteurs associatifs comme ADN Ouest doivent se saisir du sujet, et porter cette voix auprès des instances politiques. Il s’agit de rendre visibles les initiatives qui se développent sur le territoire pour répondre aux obligations légales, mais surtout pour permettre de ne laisser personne sur le bord du chemin dans un contexte de dématérialisation généralisée.